29 janvier 2006

Compatissons à la misère humaine à peu de frais...


Certains « scientifiques », anticléricaux primaires, disent qu’on voit les étoiles longtemps après leur mort, à cause de la distance, et que beaucoup d’étoiles que l’on croit voir sont en fait des étoiles qui ont cessé d’exister bien avant Karl Marx. Même en le sachant, on ne peut se résoudre à admettre que l’on regarde ce qui n’est plus. Pour elle c’était le contraire. On voyait d’abord l’étoile morte, ses yeux éteints qui disaient que jamais plus elle ne brillerait au firmament. Elle se tenait, presque voûtée, terne, triste, on pressentait qu’un drame l’avait menée là, sans parvenir à définir plus précisément. Elle était là, parmi ces chômeurs que des circonstances compliquées mais pacifistes m’avaient amené à côtoyer, et elle ne dépareillait pas parmi les hors-normes.

Je n’avais jamais remarqué combien les étoiles pouvaient être tristes avant elle. D’accord ça a l’air stupide à dire comme ça, mais c’est certainement parce que vous ne connaissez pas son histoire ; laissez-moi vous la raconter (non je ne vais pas me mettre à chanter), ou plutôt vous raconter la manière dont je l’ai connue.

On commence donc, comme je le disais précédemment, parmi les chômeurs « punis » par le système pour avoir eu l’air de ne pas vouloir travailler. Cette petite bonne femme, cheveux gris, frêle, est discrète, dans son coin, ne payant pas de mine. Apprenant à la connaître, je la découvre aimable et serviable. Une vieille, quoi. Et puis un beau jour, j’entends quelqu’un lui demander pourquoi elle a arrêté de danser. Apparemment, le sujet n’est pas des plus simples, puisqu’elle met du temps à articuler : « Je n’ai jamais aimé les vieilles danseuses. Ça a quelque chose de triste et de pathétique. Il faut s’avoir s’arrêter. » Style télégraphique s’il en est.

Ma curiosité étant éveillée par ces bribes de conversation, je décidais d’en apprendre plus. L’occasion de parler de sa vie ne se présenta pas immédiatement mais finit par arriver.

Elle avait été danseuse étoile. Les petits rats de l’Opéra de Paris, tout d’abord, l’énorme niveau d’exigence, de discipline, de travail, pour atteindre le statut d’étoile. Puis la réalisation. La Scala de Milan. St-Petersbourg, Vienne, Prague, New York, Copenhague et j’en oublie. Top niveau. Et puis, sentant le déclin venir, elle arrête. TOTALEMENT. Elle ne danse même plus pour son propre plaisir, la danse étant pour elle affaire d'esthétique, son corps ne lui permettant plus de faire de belles choses...

Lorsque je l’ai connue, elle cherchait un boulot de secrétaire. Emploi pour lequel elle n’est pas qualifiée. De plus, au-delà de 50 ans, en Suisse en tout cas, mais certainement partout ailleurs, on n’embauche pas. C’est tout.

Je ne sais ce qu’elle est devenue aujourd’hui, mais si vous m’envoyez un chèque, je m’assurerai personnellement qu’il en soit fait bon usage.

Bien à vous.

P.S.: Ce n'est pas elle sur l'image, je voulais juste augmenter l'intensité dramatique de l'histoire...

5 Commentaires:

Blogger 'No a dit...

Joël s'envole lyriquement, ça va faire mal. On sentirait presque le travail de fond de sa muse, qui fait tout pour lui faire garder ses mots dans sa bouche au lieu de les mettre dans celle de Desproges (paix à son âme). Dans la mesure où ni l'un ni l'autre n'ont besoin de pareil stratagème (assez de talent pour deux styles, pourquoi n'en garder qu'un?), une fois ce petit décilc passé j'aurai tendance à dire que j'en voudrai encore la semaine prochaine.

dimanche, 29 janvier, 2006  
Blogger 'No a dit...

et avant qu'on me fasse des remarques, je sais comment s'écrit déclic.

dimanche, 29 janvier, 2006  
Blogger Unknown a dit...

Tres joliment ecrit Monsieur Jo.
Au fait, tu la connais vraiment?

lundi, 30 janvier, 2006  
Blogger Jojo a dit...

C'est une histoire vraie. Une chômeuse rencontrée ainsi. J'ai juste brodé sur la liste des villes dont je n'ai pas un souvenir exact, vu que c'était il y a 2 ans. Les petits rats de l'Opéra de Paris et la Scala de Milan sont authentiques. Triste, tout de même, mais beau...

lundi, 30 janvier, 2006  
Anonymous Anonyme a dit...

Moi je l'ai trouvé très touchante cette femme... je n'oublierai pas les repas pris avec elle. Merci Joel de la remettre sur les chemins de ma mémoire.

lundi, 06 février, 2006  

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